L’épilation des femmes depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours

image_pdfimage_print

3. L’épilation des femmes dans l’histoire ancienne

Je ne vais évidemment pas énumérer la liste du matériel utilisé pour l’épilation ni même les dates et les lieux. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas l’acte d’épilation en soi mais la raison pour laquelle on s’épile. Donc, les sites qui listent l’historique de l’épilation n’ont pour moi aucun intérêt étant donné que la pratique n’est pas contextualisée.
C’est comme si, à notre époque, on justifiait le travail 16 heures par jour sous prétexte qu’il y a eu des gens dans le passé qui travaillaient autant. Mais c’était des esclaves et ce ne sont pas eux qui décidaient d’être esclaves ! Comme ce ne sont pas les femmes qui décidaient de s’épiler ou de rester à la maison alors qu’elles auraient peut-être voulu travailler ou apprendre à lire et écrire.
On n’a que très peu de traces écrites des pratiques d’épilation dans l’Antiquité. Sauf pour la Grèce Antique. Pour l’Egypte, c’est plus difficile d’avoir des preuves mais le contexte patriarcal était bien sûr présent et conditionnait l’éventuel rasage. Il y a aussi le fait que quand on dit « les femmes s’épilaient dans l’Antiquité », il est omis de mentionner quelles femmes. Je veux dire que la pratique était sans doute répandue dans la couche élevée de la société, pas chez la plèbe. Or, cette couche représentait un très petit % de la population, celui qui intéressait évidemment les écrivains. Il ne faut pas oublier que pour une majorité de gens pendant des millénaires, la préoccupation principale était de trouver de la nourriture pour la journée et non pas de se demander quelle partie du corps on allait transformer pour être « à la mode ». La survie passait avant l’apparence. Aujourd’hui, dans les sociétés occidentales, tout le monde est censé avoir à manger tous les jours, on se préoccupe donc beaucoup plus de son apparence car on a plus de temps à y consacrer.
Comment connaître le contexte chez les anciens Grecs ? En lisant Aristophane. Ses écrits sont à télécharger librement ici
Il aurait été intéressant d’avoir des récits écrits par des femmes. Malheureusement, comme je l’ai déjà expliqué, on n’a quasi rien du tout étant donné que peu d’entre elles étaient instruites et que les moyens de conservation des textes étaient coûteux, on les réservait donc aux hommes.
Mais les textes d’Aristophane sont très parlants sur l’atmosphère qui régnait.
Extrait de « Lysistrata », dialogue entre Lysistrata et Kalonikè (2 femmes)

– Moi, Kalonikè, le coeur me bout, et je souffre mille maux, pour nous autres femmes, de voir nos maris nous regarder comme des êtres malfaisants.
– Et nous le sommes, de par Zeus!

Cette petite phrase qui a l’air anodine est pour moi significative de l’époque : les femmes ne sont que des tentatrices, responsables de tout ce qui va mal. Et Kalonikè acquiesce, « nous les femmes, sommes des êtres malfaisants ».
Certes, Aristophane est dans la fiction mais quel intérêt aurait-il d’écrire des choses pareilles, sinon parce que c’était la réalité ? Et encore, c’est un homme. Peut-être que si les femmes avaient eu le droit d’écrire à l’époque, on serait très surpris de voir que la plupart vivaient un calvaire.
Sur la page wiki mentionnée plus haut, on trouve ceci

Ensuite, les convenances sociales interdisent à une femme bien élevée de se montrer dehors, alors que la scène théâtrale montre un extérieur : les seules femmes se montrant normalement dans la rue sont logiquement les prostituées.

Le décor est planté, les femmes sont confinées chez elles ou se retrouvent au gynécée (le harem des Musulmans), entre femmes.

Aristophane évoque l’épilation dans plusieurs de ses pièces.
Dans « Les femmes aux fêtes de Dèmètèr », Aristophane dit ceci

TROISIÈME FEMME.
J’en jure par Aglauros, femmes, vous avez perdu le sens ou vous êtes sous l’influence d’un philtre, ou victimes d’un malheur étrange, pour permettre que cette peste vous insulte toutes. S’il y en avait une parmi vous… Eh bien! allons-y nous-mêmes avec nos servantes, prendre quelque part de la cendre, lui épiler le bas-ventre, afin qu’elle apprenne, étant femme, à ne pas parler mal des femmes dorénavant.

MNÈSILOKHOS.

Pas d’épilation, femmes! Si en toute franchise il est ici permis à chaque citoyenne de dire son avis, et si j’ai exposé ce qui me semblait juste à l’égard d’Euripidès, dois-je, pour cela, être épilée et punie par vous?

On peut en déduire qu’une femme ayant « fauté » (selon des critères qui nous sembleraient sûrement bizarres) pouvait être punie par une épilation pubienne à la cendre ! Je ne pense pas qu’Aristophane l’ait inventé, ce devait être pratique courante.
On voit donc bien que l’épilation du pubis, loin d’être un choix, est véritablement une punition. En fait, c’est une infantilisation puisque sans poils pubiens, une femme rappelle la fillette impubère qu’elle a été.
D’autre part, dans « l’Assemblée des femmes », il explique que des femmes se réunissent dans le but d’aller à l’assemblée, réservée aux hommes. Pour ce faire, elles se déguisent mais surtout, laissent pousser leurs poils.

QUATRIÈME FEMME.

Moi, d’abord, j’ai rendu mes aisselles plus hérissées qu’un taillis, comme c’était convenu. Quand mon mari me quittait pour aller à l’Agora, je me frottais d’huile tout le corps, en plein air, et je m’exposais debout au soleil.

CINQUIÈME FEMME.

Moi, de même: j’ai commencé par jeter le rasoir hors de la maison, afin de devenir toute velue et de ne plus ressembler en rien à une femme.

On peut en déduire que les aisselles des femmes sont généralement rasées, les tenues dévoilant les aisselles, ce qui est normal à cause du climat.
On notera qu’une femme avec des poils n’est plus une femme. Or, toute femme adulte a des poils ! On voit donc comment la norme sociale imposant l’épilation est très ancienne. Cela fait penser aux commentaires qui pullulent aujourd’hui sur Internet concernant la PF : une femme ne l’est vraiment que sans poils ! C’est totalement aberrant.
Le sexologue Gérard Leleu explique ceci à propos des anciens Grecs : ils voyaient du sang couler du sexe des femmes. Mais comme je l’ai dit par ailleurs, les femmes étaient une monstruosité pour eux, une erreur de la nature. Or, le sang qui coule du corps d’un homme, c’est souvent pendant un combat, un acte héroïque, il est « actif ». Chez les femmes, ça coule subitement, « passivement ». Ce qui les dégoûtait et leur faisait peur. D’où leur répulsion pour le sexe des femmes, et les poils qui vont avec. Selon lui, ce serait la raison de la pilophobie des anciens Grecs. Il évoquait aussi l’animalité et le côté barbare des poils (les envahisseurs à l’époque avaient de longs cheveux et des barbes) mais je ne suis pas tellement d’accord avec cette interprétation.
Donc, la PF, symbole même de la féminité avec les seins, doit disparaître. C’est une façon de se différencier corporellement des femmes : elles ont des seins que les hommes n’ont pas mais leurs poils semblent en faire des hommes. On les oblige donc à enlever la PF pour les infantiliser. Je rappelle au passage le statut nourricier des seins : ils sont nécessaires pour nourrir les bébés, on les tolère donc et sur les statues grecques, que voit-on ? Les hommes représentés ont des poils sexuels mais pas les femmes ! Les sculpteurs n’ont pas le droit de représenter la réalité du corps des femmes.
Plus tard, dans les écoles d’Art de l’Antiquité à la Renaissance, on interdisait aux élèves de représenter la PF, car trop érotique, donc taboue, c’est du puritanisme. La pilophobie est donc très ancienne et le phénomène actuel n’est pas du tout nouveau, il n’est pas dû à la publicité, comme certains le pensent. Il n’y avait pas de publicité du temps des Grecs, les femmes obéissaient tout simplement aux hommes en s’enlevant la PF. La pub influence le comportement des gens mais imaginer que sans la pub, les femmes cesseraient subitement de s’épiler relève d’une grande naïveté et d’une méconnaissance totale du fonctionnement inconscient des humains, l’inconscient régit 90% de nos comportements.

J’ai décrypté les écrits d’Aristophane concernant l’épilation forcée des femmes ici

Un commentaire intéressant, trouvé sur un site de la BBC, en 2007, concernant l’Egypte ancienne.

In ancient Egypt it was common practice as the presence of any body hair at all meant you could only belong to the slave class. A smooth and hairless body was the standard of beauty, youth and innocence for a woman in Egypt.

En français : dans l’Egypte ancienne, il était courant d’entendre que la présence de poils sur le corps prouvait une appartenance à la classe des esclaves. Un corps lisse et sans poils était un standard de beauté, de jeunesse et d’innocence pour une Egyptienne.

Cette dernière phrase contient tout ce qu’il faut pour oppresser les femmes : elles doivent être « belles » mais c’est quoi, la beauté ? Ça se décrète ? D’autre part, cela induit que les femmes doivent toujours être en posture de séduction car sans cela, elles n’ont aucun intérêt. Et le corps des femmes, à l’état « naturel », n’est pas beau. Voir la citation du début.
Jeunes, sous-entendu qu’une femme de 30 ans à l’époque était bonne pour le rebut et innocente, c’est-à-dire comme une fillette, obéissante et soumise. En la forçant à s’épiler, elle ressemblait donc à une petite fille. Rien n’a changé en 2500 ans.

Autre contexte, sur la Rome Antique. Extrait d’un sujet de l’émission « Les maternelles » sur France5 en 2007, intitulé « L’épilation à travers les âges ».

A Rome, les jeunes gens de la bonne société se faisaient épiler les jambes, les plus raffinés n’hésitaient pas à se faire retirer les poils sur tout le corps. Diverses techniques étaient alors utilisées : la coquille de noix incandescente, la résine de pin ou le sang de chauve-souris pour raser les sourcils. Ces recettes perdurent jusqu’au Moyen Age. La chute de l’Empire romain permettra aux poils de retrouver leur place sur les corps occidentaux.

On remarquera la référence de la classe sociale, c’est l’élite qui s’épile, pour se différencier de la plèbe.

Suite de l’extrait

Avec les croisades, les Occidentaux découvrent des techniques d’épilation venues d’Orient et d’Afrique : des cires douces et des gommes naturelles. Les femmes ont pour habitude de s’épiler le visage, dégageant ainsi un front immense, signe que l’humain s’éloigne de l’animal. Elles utilisent pour cela du sang de grenouille ou de la cendre mélangée à du vinaigre.
L’épilation pubienne est alors une nouveauté venue d’Orient, très appréciée par les femmes de la noblesse.

A nouveau, on fait référence à la noblesse, signal clair de la « lutte des classes », jusque que dans la culotte. A noter la référence à l’animalité, justifiée par l’épilation des sourcils. Mais pourquoi les femmes doivent s’éloigner de l’animal et pas les hommes ? Dans une interview sur RMC en 2009, Jean Da Silva, en parlant de son livre sur l’épilation, disait ceci

du 13ème au 16ème siècle en Europe, dans les étuves en particulier, hommes et femmes se faisaient épiler périodiquement par des barbiers. La pratique a disparu à la fin du 17ème siècle pour ne réapparaître qu’avec les premières représentations de nu, au début du 20ème.

Il ne précise pas quelle partie de la population se rend dans les étuves, j’ai du mal à croire que cela concerne tout le monde. Il a écrit un livre sur l’épilation dont je reparlerai.

Extrait du mémoire de JS

Le Moyen-Âge réactualise l’âge d’or du bain de l’Antiquité : aux thermes succèdent les étuves qui seront très fréquentées à Paris. Ces dernières, et les pratiques de l’eau plus généralement, sont rapportées d’Orient par les croisés. C’est dans ce renouveau hygiénique que des manuels de toilette commencent à paraître, destinés souvent à l’hygiène intime des femmes. Dans les étuves, les barbiers-étuvistes proposent de faire « le poil proprement » (Beaupré et Guerrand, 1997 : 50), ils pratiquent l’épilation du pubis, héritée elle encore de Palestine via les croisades. Déjà, se dessine l’ambiguïté des poils pubiens dont le but est pour les Occidentaux de « cacher les parties honteuses », alors que « les femmes d’Italie et du Levant l’arrachent comme une chose malpropre et messéante » (manuel de 1699, cité par Beaupré et Guerrand, 1997 : 50). La pratique de l’épilation intime avait cours au Moyen-Âge et jusque dans la seconde moitié du 16e siècle, en témoignent les écrits d’un aventurier de cette époque, Verville (cité par Beaupré et Guerrand, 1997 : 51). Il raconte que la femme d’un avocat parisien, partie aux étuves avec trop peu d’écus, en revient avec seulement la moitié du pubis épilée.

On notera la référence aux pratiques venues d’Orient, donc du monde Musulman, j’y reviendrai. Un bémol également sur « les femmes d’Italie », sans doute les courtisanes et sûrement pas la plèbe.


4. L’épilation des femmes du Moyen Age au 20e siècle

Un élément important est le climat. Nous avons vu qu’en Grèce, les tenues des femmes dévoilaient les aisselles et donc exposaient les poils, provoquant le rejet des hommes. Mais dans les contrées que nous appelons Europe occidentale, le climat était et est toujours moins propice à avoir des tenues pareilles. De plus, à cause de la religion, toutes les parties du corps des femmes sont cachées sous des tas de vêtements, on ne voit que les mains et le visage. Une femme ne montre son corps et donc ses poils que dans l’intimité, contrairement au 20ème siècle où le corps des femmes s’est dénudé petit à petit pour en arriver aujourd’hui à une exposition maximale de chair.
C’est donc moins le fait de garder ses poils que de les montrer qui pose problème. Si une femme veut garder ses poils, qu’elle ne le montre surtout pas en public, voilà comment on pourrait résumer la loi non-écrite pilophobe.

Voici encore un extrait de JS

La pratique des étuves s’est estompée dès le 16e siècle en raison d’une part des maladies contagieuses et des épidémies, et d’autre part de l’influence de la religion catholique qui considérait ces lieux comme propices aux dérèglements des mœurs ; à cause aussi de la critique médicale qui accusait cette pratique d’être responsable de l’amollissement des chairs. La période de la Renaissance annonce donc le tabou de l’eau et celui de l’hygiène intime, qui entraînent la disparition progressive des bains, et peut-être aussi celle de l’épilation. Pour autant, les manuels de soins et de toilette ne se lassent pas de prescriptions hygiéniques quant aux parties intimes et évoquent les préoccupations des femmes qui « ne négligeaient aucun des soins dus à leur sexe et le traitait exactement comme leur chevelure » (Beaupré et Guerrand, 1997 : 54). C’est dire que l’hygiène appelle l’attention aux parties intimes, qui appelle l’attention à la pilosité pubienne, que l’on peut alors, soit épiler, soit entretenir à l’exemple des cheveux, auquel cas – nous allons le voir – l’entretien a une finalité davantage érotique qu’hygiénique.
C’est à partir du 18e siècle que le statut de l’eau change à nouveau, avec l’essor de l’orientalisme (Fontanel, 2001 : 106) : c’est l’avènement des bains privés, et peut-être aussi celui du traitement privé des poils. L’exemple des cheveux fait office également pour les poils axillaires : au 19e siècle, quand le linge mouillé ne suffit pas à laver les aisselles trop velues, il est conseillé non pas de les raser, mais de passer un peigne plusieurs fois, voire de la poudre d’iris (Perrot, 1984 : 120). Ici c’est la caractéristique de l’odeur qui est invoquée pour une attention plus prononcée aux poils. Plus fondamentalement, on peut dire que la réflexion hygiénique engage celle sur la pilosité, pour preuve, ces propos d’un auteur inconnu :
« La femme est plus douce et plus propre que l’homme parce que la nature, […] a inventé le merveilleux secret de la purifier tous les mois et de jeter au dehors, mais par voie secrète, tout ce qui peut s’y rencontrer de superflu et d’impur, au lieu que l’homme, qui n’a point cet avantage, le rend par les pores qui se trouvent aux parties les plus apparentes, ce qui produit en lui […] ce poil rebutant et cette barbe hideuse dont il est recouvert et qui ne sont autre chose que les excréments d’une chair vile et impure. » (cité par Beaupré et Guerrand, 1997 : 57)
Le poil prête donc à suspicion, car de même que les autres sécrétions excrémentielles du corps, il sort par les orifices, il vient d’un intérieur douteux. Cette association du poil avec la saleté est récurrente et persiste encore aujourd’hui. Certains traités médicaux du 19e siècle insistent sur la nécessité de « se laver quotidiennement les parties recouvertes de poils qui sont le siège de sécrétions particulièrement abondantes et malodorantes » (Beaupré et Guerrand, 1997 : 93). C’est donc dans l’évolution des pratiques de soins hygiéniques, – en concomitance avec l’évolution du statut de l’eau – que s’instaurent différents rapports au corps, et que l’on voit apparaître l’épilation comme une de ces pratiques. Ici, elle se restreint essentiellement aux parties intimes, précisément parce que ces dernières sont l’un des objets principaux des réflexions sur la propreté ; par ailleurs, elle se pratique dans un lieu public par un tiers, et l’on peut supposer que la fermeture des étuves a cantonné l’épilation à la sphère privée, inaugurant l’auto-épilation.

On notera le lien poils vs saleté, qui remonte à plusieurs siècles. C’est évidemment aberrant puisque les fanas de l’épilation ne s’arrêtent pas subitement de se laver le corps. Ce ne sont pas les poils qui font que le corps sent, c’est la dégradation de certaines bactéries sur la peau, qu’il y ait des poils ou pas.

Mais par delà la perspective hygiénique de l’épilation, il y a celle de l’apparence, de la sensualité de la peau douce (qui prendra son apogée au 20e siècle), ou inversement, du poil soyeux. On se souvient que les femmes se faisaient épiler le corps en entier aux étuves, pourtant, à la même époque, les prostituées parfument leur pilosité pubienne et l’ornent de faveurs – d’où l’expression d’ « accorder ses faveurs » (Beaupré et Guerrand, 1997 : 54 ; Fontanel, 2001 : 70). Ici encore, on remarque l’analogie avec les cheveux dès lors que les poils se font parure ; dans les deux cas ils sont à la fois parure et support à d’autres parures telles le parfum ou des rubans. Les propos de B. Fontanel suggèrent l’opposition entre les femmes de bonne société et celles de « mauvaises vie » dans le traitement des poils pubiens, cette différence est un précieux indice quant à l’ambiguïté des poils de cette zone, que tantôt l’on garde pour leur fonction érotique, tantôt l’on arrache à des fins hygiéniques, voire peut-être aussi érotiques.
En ce qui concerne l’épilation, déjà, il est intéressant de noter que les mœurs courtoises du 18e siècle – époque, nous dit P. Perrot de relativisme du dimorphisme sexuel (p. 56) – engagent les hommes de noblesse à pratiquer une épilation complète pour le mariage. C’est l’époque des « petits-maîtres », ces messieurs tout tournés vers leur paraître, que l’on considère mi-homme/mi-femme, précisément parce que la beauté et l’attention au corps sont des préoccupations proprement féminines… Ainsi le constat de Caraccioli : « La barbe comme les moustaches étaient autrefois le fard de l’homme, et maintenant, il est charmé d’avoir un visage efféminé » (cité par Perrot, 1984 : 56). La période pré-révolutionnaire étant celle de la société de cour, l’être se ramène au paraître, et l’exigence de l’apparence ne fait pas de distinction de sexes.
Au contraire, le 19e siècle annonce la fin de l’hyperesthésie masculine et le renouveau du dimorphisme sexuel, c’est donc que ces deux caractéristiques sociales s’excluent mutuellement (Perrot, 1984 : 126). Ce siècle est celui de l’occultation de l’aspect matériel et trop humain du corps, on se couvre de poudre de riz pour atténuer la nudité suggérée par les couleurs naturelles de la peau. Les cheveux sont l’objet d’une extrême attention, alors que les poils, nous dit P. Perrot, « sont largement laissés à leur exubérance », sauf sur le visage où le duvet des lèvres est considéré comme une erreur de la nature, de sorte qu’on lui applique une pâte épilatoire pour « refouler les avancées intempestives d’une végétation qui devrait se cantonner à son territoire socialement admis » (Perrot, 1984 : 151). C’est donc au niveau du visage que l’attention aux poils est la plus minutieuse, les sourcils sont entretenus avec de la brillantine, suivant encore une fois l’exemple des cheveux. A contrario du visage, la toison du sexe et la pilosité axillaire sont laissées en friche. Ces deux types de pilosité possèdent un caractère érotique évident, et il ne viendrait à l’idée d’aucune femme de les supprimer.
On peut donc dire qu’au 19e siècle, le poil est plus souvent parure que parasite. Mais cette parure a une fonction érotique évidente, on est même tenté de se demander si la sensualité n’est pas la condition sine qua non au statut de parure du poil. On songe à la description que fait Zola du sexe de Nana, tant de fois citée quand il est question de l’érotisme du poil. Dans ce passage, l’érotisme s’origine dans le registre de l’animalité, et par là même suscite en quelque sorte de l’effroi, sinon, un sentiment d’étrangeté. Si ce statut de parure érotique du poil pubien paraît évident en raison de sa localisation et de l’analogie qui en découle, celui conféré aux poils axillaires est moins évident, pourtant ces derniers sont également un haut lieu de sensualité, et leur absence interpelle, voire choque franchement. Dans l’un des écrits que cite Perrot (p. 153), on peut lire cet effroi que procure le glabre des aisselles
« Vous souvient-il du répugnant spectacle offert par de telles actrices dont les aisselles étaient rasées ? Oh ! l’absence scabreuse de la touffe de poils, riante comme un nid sous les bras ! Combien l’absence de ce point sur l’i était déplorable, obscène presque ! » (A. Méricant, La pudeur dans l’art et la vie)
On peut sérieusement se demander quel est le processus qui a inversé symétriquement les caractéristiques de l’obscène – c’est-à-dire finalement l’érotisme sous des manifestations jugées dégoûtantes et dangereuses – eu égard à la pilosité. Plus près de nous – et certes, dans un autre contexte – nous songeons aux camps nudistes des années 80 où « l’apparition d’une femme […] qui s’était rasé les poils du pubis était généralement jugée  »dégoûtante » » (Duerr, 1998 : 141).
Par contre, dès le début du 20e siècle, les jeunes filles ont pour habitude de brûler à la bougie les poils de leurs aisselles avant d’aller au bal (Fontanel, 2001 : 79). Mais c’est avec l’épilation d’autres zones pileuses, telles les jambes, que l’esthétique du lisse prendra tout son sens. Et nous nous engageons alors dans l’élan pilophobe généralisé du 20e siècle, qui ne va pas sans une attention toute particulière à la peau. Et Perrot de conclure, qu’ « avec la disparition de la robe longue et de tout un érotisme du mollet, coïncide une attention inédite à sa dépilation… […] épilée, hydratée, tonifiée, raffermie, assouplie, adoucie, gommée, lissée, bronzée, la peau, montrée dans sa perfection laborieuse, esquive en effet sa nudité puisqu’elle se présente idéalement comme un nouveau vêtement, sans faille, sans couture, sans accroc, sans plissure, sans usure. Et taillé en un V impeccable, la toison pubienne elle-même se transmue en cache-sexe qui ne cache rien » (p. 205). Ajoutons que la toison pubienne elle-même tend à disparaître, et par là-même, tout un érotisme du poil, qui précisément cache, tout en suggérant. Dès lors, on peut se demander ce qui a changé dans le rapport esthétique au corps (le sien et celui des autres) pour que les catégories de l’érotique se modifient à leur tour, et inversement. Et en effet, selon les zones pileuses élues aux fonctions de suggestion érotique, c’est tout un modèle de rapport au corps qui s’éclaire, et avec lui, les catégories sensorielles à l’œuvre dans ce rapport.

On notera que les femmes sont conscientes du caractère érotique des poils axillaires et pubiens, au 19e siècle. JS se pose à juste titre la question de ce qui a provoqué un tel renversement de valeur. Je dirais qu’en fait, on en est revenu au 21e siècle à la pilophobie des anciens Grecs.
La citation sur l’effroi face à une aisselle féminine lisse montre bien à quel point pour certaines personnes, la PF avait sa place. Dans le chapitre sur le cinéma, j’expliquerai pourquoi ce sont les actrices qui ont les premières enlevé leurs poils, au début du 20e siècle, suivies rapidement par des danseuses de cabaret, voir Joséphine Baker, par exemple, qui exhibe ses seins mais dont le corps est glabre.

Ce que JS explique concernant les jeunes filles brûlant leurs poils à la bougie avant d’aller au bal est à prendre avec des pincettes. Je pense qu’une certaine frange de la population le faisait mais comment savoir quelle proportion ?

J’ai analysé plus longuement le mémoire de JS ici

Voici une autre analyse très intéressante d’une chercheuse américaine, en 1982

Christine Hope, for example, argues that few US women, prior to 1915, removed their leg or underarm hair. This may have been because so little of women’s bodies was on public display in the US at the time. Indeed, those parts that were displayed—the face, neck and arms— were targeted by hair removal advertisements, and beauty books of the mid- to late- 1800s assumed that any visible hair, not on the head, was an affliction requiring treatment. The move toward more extensive hair removal among North American women appears to have accompanied a transition in cultural standards of feminine beauty.

Traduction : Christine Hope explique que peu d’Etasuniennes s’épilaient les jambes ou les aisselles avant 1915. C’est sans doute parce que le corps des femmes était très peu exposé en public à cette époque aux USA. Par contre, les parties du corps exposées – le visage, le cou et les bras – étaient déjà visées par les publicités de produits dépilatoires et les livres de beauté de la moitié à la fin du 19e siècle supposaient que toute pilosité ailleurs que sur la tête était une affliction nécessitant un traitement. L’élan vers plus d’épilation parmi les femmes d’Amérique du Nord semble avoir accompagné une transition dans les standards culturels de la beauté féminine.

C’est très intéressant car c’est la démonstration flagrante que la PF dérange uniquement quand on la voit. Dès qu’une partie du corps est exposée publiquement, elle doit être glabre. Ce qui explique en partie aujourd’hui la mode du pubis glabre, à cause des strings et des maillots de plus en plus échancrés. On notera aussi que la publicité a toujours joué sur le côté culpabilité : les poils, il faut absolument les traiter comme un problème.

Joan Ferrante disait ceci en 1988, dans une étude sur l’hirsutisme

During the witch-hunts in France it was common for suspects to be shaved prior to their torture, the belief being that hairiness came about through consorting with the devil. Not only did shaving allow interrogators to search for signs of Satan, but it was also thought that the loss of her hair would deprive the woman of strength and protection.

Traduction : durant la chasse aux sorcières en France, il était habituel pour les suspectes d’avoir le pubis rasé avant de se faire torturer, selon la croyance que la pilosité venait suite à un pacte avec le diable. Le rasage permettait aux inquisiteurs de chercher des signes sataniques mais on pensait que la perte de leurs poils priverait ces femmes de leur force et de leur protection.

Un exemple de plus montrant que le rasage ou l’épilation du pubis n’est pas du tout un choix, une liberté ou une mode mais une torture, à noter la relation faite entre les poils féminins et le diable, ce qui rejoint la malédiction dont parle JS.


5. L’épilation des femmes dans l’histoire récente

Nous voilà donc au 20e siècle. Deux faits marquants se produisent à cette époque : l’apparition du cinéma et la première publicité pour un rasoir adapté aux femmes.
Le cinéma, en tant que nouveau média, a été très vite considéré comme subversif. Les USA de la fin du 19e siècle sont puritains, dominés par les religieux protestants, connus pour être très rigoristes. Dès le début d’Hollywood, les puritains mettent en place un comité de censure afin d’éviter que les réalisateurs ne montrent des images de femmes dénudées. Il y a tout de même quelques films qui montrent des femmes entièrement nues mais ça ne dure pas longtemps. Parmi les règles à respecter, il y en a une qui nous concerne : interdiction formelle de montrer la PF. Et qui fait partie de ce comité ? Des hommes. Je reviendrai plus en détail sur le cinéma dans le chapitre qui y est consacré.

Voici le texte qui figure sur la première pub

Summer Dress and Modern Dancing combine to make necessary the removal of objectionable hair.

En français : des vêtements d’été et la danse moderne se combinent pour rendre nécessaire la suppression des poils indésirables.

La pression est mise immédiatement sur les femmes, « il est nécessaire d’enlever vos poils indésirables ». Mais qui écrit ce texte ? Un homme, évidemment.

Voici le texte d’une autre pub pour un rasoir, elle date de la période 1915-1920 et semble moins violente, quoique très directive.

The Woman of Fashion says the underarm must be smooth as the face, The full charm of the Decollete costume is attained when the underarm is perfectly smooth.

Traduction : la femme à la mode est sûre que l’aisselle doit être aussi lisse que le visage. Le décolleté déploie tout son charme quand l’aisselle est parfaitement lisse.

Une autre pub de 1924 disait

Perhaps, because of an old-fashioned scruple, you have hesitated to rid yourself of the disfigurement of underarm hair. Are your arms constantly pinned to your sides? Or do you scorn to wear the filmy or sleeveless frocks that the vogue of the day decrees? In either case, He is apt to think you lifeless and behind the times. He will notice you holding yourself aloof from the swing of convention

En français : à cause de scrupules démodés, peut-être avez-vous hésité à vous débarrasser de ce défigurement que sont les poils des aisselles. Vos bras sont constamment collés à vos flancs ? Ou vous rechignez à porter des tenues légères et sans manches qui sont en vogue ? Dans les deux cas, un homme pensera que vous êtes démodée et manquant de vie. Il constatera que vous vous tenez éloignée du courant conventionnel.

Défigurement pour des poils, uniquement chez les femmes ? C’est quoi ce délire ?
Dès le départ, on culpabilise les femmes. Je n’ose imaginer une pub pareille aujourd’hui, cela provoquerait un scandale. De telles pubs provoquaient un malaise chez les femmes, on leur fait comprendre que sans le produit xyz, elles ne seront que des « mochetés ». La pub a toujours joué sur la culpabilité mais quand en plus, elle surfe sur un tabou millénaire, ça donne la situation actuelle où la PF est tout simplement bannie des médias.

On voit donc comment des hommes, il y a 100 ans, ont reproduit le schéma pilophobe des anciens Grecs, sans même le savoir consciemment, entretenant ainsi le schéma patriarcal de contrôle du corps des femmes par les hommes.
La différence avec les Grecs, c’est la notion d’argent qui intervient pour la première fois puisque l’industrie des marchands de rasoirs s’empare d’un marché gigantesque, celui des femmes.
La machine infernale est lancée et plus personne ne l’arrêtera.
Dans un article du « Monde » de mars 2010, on peut lire ceci Selon le Wall Street Journal, en 2008, l’industrie mondiale de l’épilation a réalisé un chiffre d’affaires de 1,8 milliard de dollars (1,3 milliard d’euros).
On est donc face à un lobby très puissant qui n’est pas prêt à renoncer à cette manne inespérée.
Oser remettre en question l’épilation est un blasphème pour ce lobby qui balaie tout ça d’une main « ce sont les femmes qui veulent se raser, nous ne faisons que répondre à une demande ». Ce n’est pas faux, sauf que le « libre arbitre » invoqué n’existe pas, pour toutes les raisons expliquées plus haut. Quand on baigne dans un monde de femmes sans poils depuis son enfance, on ne peut faire autrement que de se soumettre à la norme tout en étant persuadé de choisir librement.

Aux USA donc, le commerce de rasoirs pour femmes est florissant. De plus en plus de femmes se rasent les aisselles. Les jambes viendront plus tard, une fois que les bas deviendront transparents et qu’on verra donc les poils au travers. Dans les années 1960, plus de 90% des Etasuniennes se rasent les aisselles !

En Europe, la situation évolue plus lentement mais malgré tout, ce qu’il se passe aux USA finit par arriver ici. La pression épilatoire existait déjà en France, avant la WW2.
Sur le blog de Michelle Julien, une féministe qui a consacré un billet à ma page (qui n’est malheureusement plus accessible), on peut voir une pub pour une « eau » qui dissout les poils. Elle est parue dans le magazine « Votre Beauté » en juin 1935 ! La femme qui pose a les bras en l’air et les aisselles glabres. Le texte commence par ceci

Les vilains poils superflus que vous vous obstinez à garder, rendent certains gestes très naturels (comme lever les bras) indécents et ridicules

On peut voir la pub ici

Cette phrase est d’une violence extrême, il y a les mots vilains et superflus pour les poils et pour la femme, si elle ose montrer ses poils, elle est indécente et ridicule.

En faisant des recherches sur l’eau Taky, j’ai trouvé une autre pub plus ancienne, datant de 1931, on peut la voir dans des archives du journal Ouest-France, voici une partie du message

Une Femme Qui Défie la Critique va vous dire son secret.
La plus jolie femme choque désagréablement si sa nuque ses bras ou même ses jambes à travers les bas, montrent un système pileux trop fourni qui retient en outre les odeurs de la transpiration. L’EAU TAKY forme avec la Crème Taky, universellement connue et la Poudre Taky, un ensemble de produits épilatoires incomparables et indispensables a toute femme à la mode.

Sur France-Inter lors de l’été 2006, une émission parlait du 70ème anniversaire des congés payés. On y entendait des pubs qui passaient dans les cinémas (la radio était encore rare). J’ai sursauté quand j’ai entendu une voix d’homme dire
Mesdames, vous irez sur les plages cet été mais n’oubliez pas de vous épiler (ou raser, je ne sais plus) pour enlever ces poils disgracieux.

Le lavage de cerveau était déjà bien en place. J’imagine déjà la scène : une femme va au ciné avec son mari en 1936. Elle voit un film américain avec des vedettes féminines épilées qui font rêver son mari. Ensuite, elle voit la pub à l’entracte qui la culpabilise. Que fait-elle en rentrant à la maison pour ne plus se sentir « sale » ?
Mais les images d’archives de l’INA montrent que les choses ne sont pas aussi simples. On peut y voir des femmes avec des poils aux aisselles, sur les plages où le « peuple » se rend en masse, dès 1936. Néanmoins, le ver est dans le fruit et petit à petit, la pression augmente. Comme toujours, c’est parmi l’élite de la société que l’épilation devient monnaie courante.
Plus tard, dans les années 1950, les femmes portent de plus en plus de tenues dévoilant les aisselles, même en dehors des vacances d’été. Ce qui rend les poils visibles et donc, certaines commencent à les enlever. Je parle de la France et de la Belgique.

Voici un témoignage du blog d’Hélène, dont je reparle plus loin, cela concerne la France : dans les années 50, quand j’étais petite,je me souviens avoir vu beaucoup de « grandes personnes » arborer sans complexe des aisselles velues sous des manches courtes.

En Allemagne et en Italie, très peu de femmes se rasent, comme on peut le voir dans les documentaires tournés dans les années 50 à 70, ainsi que dans les films, j’en reparle dans le chapitre cinéma.

Durant mon adolescence dans les années 70, j’ai été attentif à la pilosité des filles de mon âge mais aussi des femmes, les femmes non épilées étaient encore majoritaires. A cette époque, j’allais chaque été à la piscine en plein air (en Belgique) et aussi en France, à la mer. Presque aucune femme ne s’épilait les aisselles et ça ne choquait personne. Les femmes avaient un partenaire, étaient belles et désirables, beaucoup semblent l’oublier ou sont trop jeunes pour avoir connu cette époque. Aucune de mes petites amies de l’époque ne s’épilait. La différence, c’est que les épilées à l’époque (qui étaient donc minoritaires) n’étaient pas insultées comme le sont aujourd’hui celles qui ne s’épilent pas.
Durant les années 80, j’ai constaté en été que sur les plages françaises, belges et espagnoles, la PF commençait à se faire discrète. J’ai croisé quelques femmes pas épilées dans la vie courante, elles étaient déjà moins nombreuses. Dans les années 90, elles devenaient rares et depuis 95 environ, c’est exceptionnel d’en voir une, c’est à partir de cette date que ma femme a subi les premières insultes.
Néanmoins, il existe des îlots de résistance. Sur le forum du site onpeutlefaire.com, voici ce que disait une femme en 2010

je vis dans un coin où de trrèèèèss nombreuses personnes ont fait un « retour à la terre » depuis 40 ans (et ça continue) et ça passe aussi par un retour au naturel : les filles des néo-ruraux ne sont pas normalisés de la meme façon et surtout, quand l’environnement pullulent de femmes non épilées, le poids de la norme est inexistant (aussi bien pour les hommes que pour les femmes).

En fait, il s’agit des départements Est-Pyrénées (Ariège, Aude, Pyrénées Orientales) plutôt le sud de ces départements.

Pour l’Allemagne et l’Italie, le phénomène a été plus tardif. Il était fréquent de voir la PF sur les plages en été dans les années 90 et au début des années 2000. Mais même dans les deux bastions européens de la PF, elle a quasi disparu complètement en été.
Il faut faire la distinction entre les femmes qui exposent leurs aisselles et celles qui ne le font jamais. Je parle évidemment des premières. Parmi les secondes, il est clair que certaines ne se rasent pas mais on ne peut le vérifier. Sauf en recueillant leur témoignage, ce que je fais depuis plus de dix ans. Pour avoir la paix, elles ont toujours des manches et ne vont pas à la piscine ou à la plage. Bien souvent, elles regrettent la pilophobie car elles aimeraient pouvoir mettre un maillot, aller nager avec leurs poils, sans que personne ne s’en prenne à elles.

Depuis quelques décennies, l’épilation est devenue une norme sociale intégrée. Ce qui signifie que l’acte d’épilation est considéré comme « normal », au même titre que le fait de se laver et n’est donc pas une seule seconde remis en question. Il est très fréquent d’entendre des femmes dire qu’elles se rasent par hygiène. Mais elles se lavent les aisselles, c’est très rare qu’elles voient la contradiction dans leurs actes. Si réellement c’était plus hygiénique de ne pas avoir de poils, les médecins prescriraient l’épilation.
Voici malgré tout un témoignage montrant la contradiction, totalement assumée, issu du site du magazine « Elle », voir lien dans le chapitre sur les intolérants.

Beaucoup lient leur détestation des poils à des motifs hygiéniques. Cécile : « Les poils, où qu’ils se situent, retiennent la transpiration et le reste. » Mais elle reconnaît que cette raison tient peu, puisqu’elle se lave tous les jours. Etre lisse de partout, comme au premier jour de sa vie, serait son idéal, même si elle n’a encore jamais rencontré de bébé qui naisse déjà propre.

Et oui, ressembler à un bébé, c’est du jeunisme même pas camouflé. Mais un bébé n’a aucune autonomie, il fait ses besoins comme un animal. Est-ce donc ça que cherche cette femme, redevenir un être dépendant ?

Très peu reconnaissent le côté sexuel des poils. Quand je dis à des fanas de l’épilation qu’avec des poils aux aisselles, elles affichent leur maturité sexuelle, c’est l’étonnement ou alors, l’incompréhension totale. Elles ont zappé le fait que comme les seins, la PF apparaît à la puberté. Pour elles, la PF est un « truc » inutile, moche, sale à enlever au plus vite. Voilà le résultat de millénaires de rejet de la PF par des hommes ayant peur des femmes, peur de leur sexualité, voir le chapitre suivant.

Pour d’autres chiffres sur la norme de l’épilation féminine dans différents pays, voir le site de Miel

En 2004, Séverine Capeille et Serge Rivron analysaient la « mode » des pubis rasés sur le site sistoeurs.net

SC : On est passé des femmes à poils et à vapeurs au tout sexe-épile ! Sociologiquement parlant, on pourrait tenter un parallèle entre les années 70 pleines d’espoirs aux poils drus, et les années 2000 tondues par la désillusion reine et les disettes budgétaires.

SR : C’est tentant comme explication, la métaphore est amusante et marche bien ; mais je ne suis pas convaincu que ça suffise. Le sexe, même s’il a de plus en plus tendance à être mis sur la place publique, est par excellence le lieu corporel de l’intime, avec le trou du cul qui l’est encore plus, mais dont vous me disiez qu’il est aussi victime de la mode sans poils (encore qu’on ne doive pas en trouver beaucoup par ici). Contrairement à l’impression que veulent dégager mes baladeurs des sables*, le fait de se « dépoiler » le sexe n’est pas du tout indifférent, ça engage formellement l’individu qui pratique ça, même s’il est sollicité par une mode dans un contexte social donné.

SC : C’est en tout cas une mode qui répond parfaitement à l’injonction de jeunisme qui nous est faite depuis une quinzaine d’années. Cette mode habille, ou plutôt déshabille, une génération d' »adulescents ». On y retrouve aussi le côté « manga », avec ses personnages sans identité sexuelle marquée. Le poil, qui contient toute la carte génétique de l’humain, serait perçu comme une trace dégoûtante, une imperfection, un obstacle vers l’idéal de déshumanisation exalté par la peau lisse de l’éphèbe…

SR : Les poils en liberté, c’est vrai, ça évoque une soumission au naturel qui n’est plus du tout de mise dans l’idéologie actuelle. Les années 68-75, c’est aussi l’éclosion des seins nus au bord de l’eau, où s’affichait nettement ce qu’on pourrait appeler une revendication des femmes à la naturalité mammaire ; c’est l’époque de la « libération sexuelle » et du « retour à la nature » qui a aussi engendré un fabuleux essor du naturisme. Montrer ses poils, au fond, ça disait un peu « on est des animaux comme les autres ».

SC : Aujourd’hui, la nature a changé de nature ; elle n’évoque plus le réconfort souverain, l’harmonie à atteindre, mais le danger omniprésent : réchauffement climatique, pluies torrentielles, tremblements de terre, canicule, épidémies. Alors on fait disparaître les poils, on tond, on rase, on épile. C’est peut-être ça : on chercherait dans son corps non plus l’animal, mais l’invisible, on chercherait à le mettre à jour, à voir l’Autre en soi, et que les autres se perdent dans la vision de votre nudité absolue.

SC : Nous sommes bien loin, décidément, de ce désir de retrouver un état d’enfance qu’on pouvait voir dans le fait de se vouloir le corps sans poils…

SR : Loin et proche, parce que l’enfance, c’est aussi le moment où le corps est livré totalement au monde, sans défenses. C’est à dire un moment où l’on est, fantasmatiquement au moins, le véritable jouet du désir. Or s’arracher la toison pubienne, c’est à la fois redevenir physiquement imberbe, mais c’est aussi mettre son sexe sous le nez de l’autre, le soumettre à son désir.

*les baladeurs des sables sont des naturistes presque tous épilés que Serge Rivron avait croisés l’été précédent.